Sous pression internationale et exposée à des chocs exogènes croissants, l’Afrique subsaharienne tente de consolider une reprise économique amorcée en 2024. Dans son dernier rapport semestriel, le FMI dresse un constat lucide des progrès réalisés, tout en alertant sur les vulnérabilités persistantes et les incertitudes à venir.
Le Fonds monétaire international (FMI) alerte sur une reprise économique en Afrique subsaharienne entravée par des fragilités persistantes, dans son rapport semestriel « Perspectives économiques régionales » publié ce vendredi. Intitulé Recovery Interrupted (« Une reprise interrompue »), le document couvre les données arrêtées au 15 avril et souligne la combinaison inédite de chocs externes et de vulnérabilités internes.
En 2024, la région a enregistré une croissance de 4,0 %, en hausse de 0,4 point par rapport aux projections initiales. Cette performance s’explique notamment par une augmentation des investissements publics, la hausse des exportations de matières premières comme l’or, le cacao et le café, ainsi que par le dynamisme du secteur des services, en particulier au Nigeria où la croissance a été révisée à la hausse à 3,4 %.
Le FMI note également une amélioration des fondamentaux macroéconomiques. La médiane de l’inflation régionale est tombée à 4,5 % en février 2025, contre 6,5 % en 2023 et un pic de 10 % en 2022. Le ratio médian dette/PIB s’est stabilisé sous la barre des 60 %, reflet d’un ajustement budgétaire cumulé équivalent à 2 % du PIB entre 2022 et 2024. Par ailleurs, l’accès aux marchés internationaux s’est raffermi : huit pays, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Kenya, ont levé au total 13 milliards de dollars via des Eurobonds, dépassant la moyenne décennale, rapporte l’agence africaine de presse.
Pour 2025, cependant, les perspectives sont révisées à la baisse. La croissance régionale est attendue à 3,8 %, soit 0,2 point de moins qu’en 2024, avant un modeste rebond à 4,2 % prévu en 2026. Trois facteurs principaux expliquent ce ralentissement.
Premièrement, les tensions commerciales mondiales s’intensifient. L’imposition de nouveaux droits de douane américains, pouvant atteindre 50 % sur certains produits importés, suscite des mesures de rétorsion de la Chine, du Canada et d’autres partenaires. Le Lesotho et Madagascar, dont les exportations vers les États-Unis représentent respectivement 7,5 % et 5 % du PIB, figurent parmi les plus exposés.
Deuxièmement, les cours des matières premières hors or et cacao ont reculé de 15 % depuis décembre 2024, affectant directement les recettes des pays exportateurs. Cette chute fragilise les équilibres budgétaires et extérieurs de plusieurs États dépendants des revenus miniers et pétroliers.
Troisièmement, le durcissement des conditions financières complique l’accès au crédit. Le spread moyen des obligations souveraines africaines a atteint 552 points de base en 2025, contre 522 en 2024, alourdissant le coût du service de la dette. Cette situation maintient plusieurs pays à l’écart des marchés internationaux.
Le rapport met en lumière des vulnérabilités structurelles préoccupantes. Dix-sept pays affichent une inflation à deux chiffres. Un tiers des États cumulent au moins trois déséquilibres macroéconomiques majeurs, tels que des déficits primaires élevés, des réserves de change inférieures à trois mois d’importations et un endettement jugé critique. L’aide publique au développement, quant à elle, stagne à 51 milliards de dollars, soit 0,5 % du PIB régional. Les réductions annoncées par les États-Unis et l’Union européenne font craindre un effondrement du financement de secteurs sociaux clés comme la santé et l’éducation.
Face à ces défis, le FMI émet plusieurs recommandations. En matière budgétaire, il insiste sur la nécessité d’élargir l’assiette fiscale, en supprimant les exonérations au Nigeria et au Liberia, ou en dématérialisant l’administration fiscale comme au Sénégal. Il préconise aussi une meilleure maîtrise des dépenses, notamment par la réduction des subventions aux carburants – qui représentent jusqu’à 2 % du PIB en Angola et en République du Congo – et par la rationalisation de la masse salariale publique, comme l’identification des « travailleurs fantômes » au Tchad. Sur la dette, il plaide pour des restructurations rapides dans les pays comme la Zambie et le Ghana, et pour plus de transparence.
Sur le plan monétaire, le FMI recommande aux pays confrontés à une inflation élevée, comme le Nigéria (33,2 % en 2024), de maintenir des taux directeurs restrictifs. En revanche, un assouplissement ciblé pourrait être envisagé dans les pays stables, notamment ceux de la zone franc et d’Afrique de l’Est. L’institution insiste sur l’importance de renforcer les réserves de change, actuellement insuffisantes dans près de 40 % des pays.
Les réformes structurelles restent cruciales. Le FMI appelle à une intensification de la lutte contre la corruption, notamment en République démocratique du Congo et au Mozambique. Il soutient l’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), à ce jour opérationnelle dans dix pays via l’initiative pilote de commerce guidé. Il recommande aussi d’investir dans la transformation locale des minerais critiques et des produits agricoles pour réduire la dépendance aux matières premières brutes.
Enfin, l’institution appelle les partenaires internationaux à accroître leur soutien. Elle plaide pour des prêts concessionnels, des dons ciblés vers les États fragiles du Sahel ou de la Corne de l’Afrique, et pour l’abandon de mesures commerciales discriminatoires envers l’Afrique. Le FMI rappelle qu’il a décaissé 65 milliards de dollars depuis 2020, dont 800 millions via son instrument de résilience et de durabilité (Resilience and Sustainability Facility) en 2025.
Dans un scénario de choc mondial prolongé, marqué par un durcissement prolongé des taux d’intérêt, la croissance régionale pourrait chuter de 2 points entre 2025 et 2026. Les pays exportateurs de pétrole, particulièrement vulnérables, verraient leur activité économique reculer jusqu’à 3 points supplémentaires.